Circonvolutions d'un Passeur

Publié le par Guy Boulianne


Vincent Madrot est né le 15 juin 1975 à Bordeaux, de parents travailleurs sociaux engagés politiquement.

Depuis sa prime enfance il a toujours entendu parler et de politique et d’arts en général. Il a commencé très tôt à pratiquer la peinture, et l’écriture sans trop savoir où ça allait le mener.

Vers les huit ans il a commencé à prendre des cours de guitare, et quatre années plus tard il a joint son premier ersatz de groupe - en réalité une bande de jeunes qui font du bruit comme on tape un punching-ball ! La même année il a participé à sa première manifestation politique, sans l’accord de ses parents !

A cette époque-là il écrivait sans savoir ce qu’il écrivait, utilisant l’écriture comme un exutoire, un défoulement pur et dur.


Jusqu’à ce qu’un professeur de français, obligé par le programme scolaire de leur faire
« apprendre » la poésie, lui dise que ce qu’il écrivait s’appelait de la poésie.

Honnêtement ça n’a pas changé sa façon d’écrire, mais il a prit quand même conscience qu’il appartenait à un monde dont il ignorait jusqu’à l’existence. Et pourtant, à l’époque, il lisait beaucoup. Mais si sa famille le poussait vers la littérature, elle ne l’intéressait pas à la poésie. C’est donc par ses propres moyens, et au fil de ses rencontres (libraires, bibliothécaires et poètes) qu’il a appuyé sa présence en tant qu’écrivaillon de poésie !

Néanmoins son centre d’intérêt prioritaire devenait au fil des ans la musique. De textes libres sur papier, il est passé à textes de chansons. Engagement socio politique à la clé, très logiquement.

Vers l’âge de 17 ans il a laissé tomber ses études, persuadé qu’elles ne le mèneraient nulle part, et optant pour une professionnalisation en tant que musicien.

Il ne laissait pas pour autant tomber ses autres activités. Il photographiait et peignait toujours, mais plus comme un loisir, un passe-temps important. Et si ses textes de chanson prenaient une majeure partie de son inspiration, il continuait à noter des bouts de phrases par ci et par là. Des fois planchant sur une nouvelle, d’autres sur un poème, mais sans ambition réelle.

De longues années plus tard, après avoir subie un grand nombres de déconvenues, il a décidé de stopper les frais et de s’orienter vers un travail en solitaire, épuisé par des années de participation à des groupes tous plus calamiteux les uns que les autres. Il en était arrivé à un point où l’idée d’arrêter la musique lui était venue à l’esprit, tant et si bien que l’écriture avait prit alors une place quasi prépondérante.

Il a crée, à ce mont, sans vraiment y réfléchir, un blog où il écrivait des textes improvisés, sans calcul grammatical ou autre, une sorte de réappropriation de l’écriture automatique, chère aux surréalistes.

Il a dû vite stopper ce projet à cause d’une frustration créative et est passé à une forme de publication virtuelle plus « concrète », un vrai blog de poésie. Mais, ne se sentant pas poète dans le sens absolu du terme, il a déclaré être un « passeur de sons et de mots », un simple véhicule transportant des idées et des pensées.

Il y a tout juste un an, après la création de ce blog, il a progressivement pris conscience que ses mots pouvaient toucher sans ses sons, qu’il devait approfondir son « talent » d’écriture et arrêter de ne pas écrire sérieusement, sans pour autant ne pas se prendre au sérieux.

S’inspirant de textes de chansons et de bribes de nouvelles qu’il avait écrites, ainsi que de haïku et tanka qu’il écrivait pour lui, il a commencé l’élaboration du « triptyque du chaos ». Et, en parallèle, en reprenant les thèmes qui lui sont chers, il a commencé l’écriture de « cent mille vies ». À l’époque il ne savait pas qu’il je les réunirait. Mais, au final, comprenant qu’il s’agissait là de la même entreprise, il a trouvé très logiquement le lien pour les unir.

Vint très naturellement le titre de cette union, « les circonvolutions du passeur ». Il est le passeur et le monde tourne autour de lui (!), il le décrit tel qu’il le voit, en y associant ses propres interprétations.

Après avoir terminé ce recueil, il a voulu le faire publier, car ses proches, au jugement pourtant sans pitié, l’ont encouragé à le faire. Il a alors envoyé son manuscrit à un nombre incroyable d’éditeur. Dix sept en tout. Il a eu deux accusés de réception, et trois refus officiels, point final.

Puis, sur un forum, il a découvert les Mille-Poètes, et, sans trop y croire, persuadé que son travail ne valait rien, il a envoyé son manuscrit à Guy. Une semaine plus tard, son livre était édité…

A l’heure actuelle, ses activités musicales sont au calme plat. Tant et si bien qu’il a décidé de reprendre ses études dans le but de devenir bibliothécaire… sûrement pour boucler la boucle !"

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Wahib Bennani : Je suis heureux d’avoir à vous interviewer cher Vincent tout juste après lecture de votre recueil Les Circonvolutions D’Un Passeur.

Vincent Madrot : C’est aussi un plaisir pour moi.

Wahid Bennani : Bien avant toute lecture, on se rend compte que votre recueil rassemble d’autres sous-titres et le plus consistant reste Cent Mille Vies qui dépasse les cent pages à lui seul. Un recueil dans un recueil ?

Vincent Madrot : « Les circonvolutions du passeur » réunit deux textes, « cent mille vies », et
« triptyque du chaos ». Je les ai écrits simultanément, et sans voir le lien avant relecture. Dans mon esprit il s’agissait de deux « romans en poétique », une sorte de mélange entre l’écriture narrative et la poésie. Difficile d’y associer un style définitif, car, en réalité, les deux textes sont des expérimentations.

Wahid B : Pourquoi ne pas faire deux ouvrages au lieu d’un, surtout qu’il est fait de 224 pages ?

Vincent M : Je voulais réunir ces deux styles et essayer de mélanger mes deux passions d’écriture. J’aime écrire de la poésie (en rime ou non, classique ou moderne, orientale ou occidentale), et j’aime aussi l’écriture de nouvelles, ou plus simplement de prose non poétique. Chacun de ces deux textes, traite du monde alentour, de la souffrance, de la douleur, de la mort, de la guerre, de la déchirure de l’émigration, de la difficulté de l’immigration, mais non d’un point de vue militant. J’ai essayé d’entrer en « empathie » avec ceux qui souffrent, sans pour autant estimer ne pas moi-même connaître la souffrance, mais dans le but de m’excentrer de mon être. Le narcissisme inhérent à toute vocation d’écriture fait souvent oublier le monde à celui qui écrit ; mes amis, mes proches, mes camarades de militance associative et politique me l’ont fait comprendre. Il est important que le poète (ou l’auteur) éructe ses troubles et faiblesses pour aider les lecteurs à ne plus sentir la pression de la solitude. Quand on souffre, on se sent souvent seul au monde, à tort. Mais le poète (ou l’auteur) doit aussi s’ouvrir sur le monde, ne pas s’en isoler, sa sensibilité se doit d’être utile à l’ensemble de ceux qui en ont besoin. Ce qui n’est pas évident. Dés qu’il est question d’exprimer une idée, ou plus encore une idéologie, il est très difficile de ne pas enfoncer de portes ouvertes, de ne pas tomber dans les travers du manichéisme le plus candide. C’est pour exprimer une certaine distanciation, ne pas donner plus d’importance qu’il n’en faut à mes textes, que j’ai parlé de « circonvolutions du passeur. »

Wahid B : Et qui est donc ce passeur ?

Vincent M : Je suis ce passeur (sourire). Le relais entre les différents mondes, l’éponge qui absorbe l’eau trouble la distille et la donne à boire à ceux qui ont soif. Je suis le point autour duquel les mondes tournent, je les vois, les décrit, essaye de les comprendre et les exprime, bon gré mal gré ! J’aurai pu décrire tout cela dans une préface, mais nous n’aurions pas eu la chance de nous croiser, cher Wahid !

Wahid B : C’est aussi un bonheur pour moi que de vous avoir connu cher Vincent (sourire)
Vous avez sans doute lu Rimbaud. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de sa conception de la langue vu que la première impression qu’on a à la lecture de vos poèmes c’est cette similitude qui existe entre vos textes respectifs ?

Vincent M : L’importance de Rimbaud… il faudrait tout un ouvrage pour en décrire toute la portée ! Sa construction poétique, sa « folie » littéraire, le jusqu’au boutisme de ses vers… je n’irai pas jusqu’à me définir comme un de ses adeptes, loin s’en faut, mais il a compté pour moi à la période la plus cruciale de la vie, l’adolescence. Aujourd’hui, quand je le relis, c’est plus mon passé que ses mots que j’ingurgite ! J’ai un peu la même réaction avec Maïakovski, la fougue de l’espérance, la plaie ouverte de l’engagement…

Wahid B : Et aujourd’hui, de qui vous sentez-vous le plus proche ?

Vincent M : Aujourd’hui, je me sens plus proche de Valérie Rouzeau ou de Pierre Autin-Grenier, dont les univers sont certes différents, mais complémentaires à mes yeux. J’aime aussi une foultitude d’autres poètes, de Péguy à Depestre, de Lautréamont à Manciet, liste forcément non exhaustive ! Cependant, je dois l’avouer, je lis plus de romans que de poésies. J’aime à plonger dans l’univers brut de décoffrage de Bernhard, dans l’humour noir de Gogol, dans la prose poétique de René Pons, dans l’acidité d’un Faulkner, dans la vision très personnelle du temps de Le Clézio, etc. (là aussi liste non exhaustive !) Et si je devais couronner un livre de chevet… après de multiples hésitations je nommerais « maître et serviteur » de Tolstoï.

Wahid B : Vous êtes musicien et vous avez même arrêté vos études pour en faire votre métier. Nous aimerions savoir comment elle a agit dans votre conception de l’écriture ?

Vincent M : La musique a été l’élément déclencheur me permettant de saisir la portée de mes écrits. Paradoxalement, les gens retiennent plus les textes que les musiques. Ce qui est un peu frustrant pour le « compositeur » que je suis, mais « l’auteur » s’en réjouit !!! J’ai découvert la poésie grâce à des chanteurs (Rimbaud par Morrison, Maïakovski par Cantat, etc.). J’ai découvert le rythme poétique via l’écriture de textes de chansons. Et l’envie de se dégager ou de s’engager dans les rimes chantées, aussi. Mais, avec le temps, la donne s’est inversée. A tel point que je suis passé de poseur de mots sur une mélodie, à poseur de sons sur des mots. J’en suis même à me demander si finalement le but de ma présence dans la musique n’était pas de me faire prendre conscience de l’importance qu’écrire a à mes yeux ! Désormais je joue peu de musique, et surtout en solitaire, mes propres compositions. Et je me suis dégagé de toute ambition autre que celle de me faire plaisir. Je ne veux plus considérer la musique comme une profession, ça a presque cassé mon affection pour elle.

Wahid B : Et quels sont vos projets pour l’immédiat puisque vous divorcez de votre musique qui vous a accompagné durant tant d’années ?

Vincent M : Dans l’immédiat, je veux me focaliser sur la reprise de mes études, et sur l’écriture. J’ai terminé deux recueils dont un est « conceptuel » (alliant mes travaux d’art plastique et la poésie), et l’autre est un « simple » recueil de poésie. Je fignole un recueil de nouvelles, et commence la relecture d’un récit ou roman (dur de le définir là aussi !). À titre indicatif, et parce que je devance sûrement la question, je pratique la peinture depuis l’enfance, mais en dilettante, sans ambition autre que celle de jouir des images ainsi créées.

Wahid B : Dites-nous Vincent, aujourd’hui que vous avez pris de l’âge après votre première participation à une manifestation politique à l’âge de douze ans, vous considérez-vous poète engagé ?

Vincent M : Je ne sais pas si je suis un poète engagé, car j’éprouve les plus grandes difficultés à me définir comme poète. Non que je sois modeste ou humble, je ne le suis pas le moins du monde. Mais je pense ne pas posséder assez de connaissances et de compétences pour me qualifier de poète. En revanche, je suis un homme engagé, car j’agis en fonction de mes idéaux. Bon nombre de poètes et chanteurs impliqués dans des causes humanitaires ou politiques m’ont donné envie de suivre leurs exemples, de Zola à Eluard, en passant par Renaud et Bob Geldof, et j’en oublie bien sûr.

Wahid B : Il y a bon nombre de poèmes sur les immigrés. Est-ce pour la polémique qu’ont suscité ces nouvelles lois les concernant ?

Vincent M : Pour ce qui est de la question des lois sur l’immigration, j’avoue de ne pas me positionner en faveur d’un repli communautaire quel qu’il soit. Tous les pays riches se sont enrichis grâce à l’immigration et aussi à la colonisation. Mais force est de reconnaître que si bon nombres admettent cette vérité, peut se soucient de l’impact réel de cette politique, et surtout de son incidence sur l’ensemble des gens concernés, c’est à dire tout le monde.

Wahid B : Ce sujet devient plus à la mode depuis la création de l’Union Européenne, non ?

Vincent M : Certes il semble à la mode de parler d’immigration ou de colonisation, mais ces sujets me touchent depuis belle lurette, ma famille est issue d’un métissage méridional complexe, de l’Espagne à l’Italie en passant par la Grèce et l’Algérie. Je suis touché de plein fouet par la propagande politicienne consistant à faire passer les immigrés pour des preneurs de places. Dés qu’une situation devient trop complexe le principal défaut est de vouloir la simplifier à outrance. Ce n’est pas trop grave pour le quidam dont la vie ne se joue pas sur ces sujets. C’est grave pour ceux qui sont personnellement touchés par ces sujets. Et c’est tout bonnement inexcusable de la part de représentants étatique, censés être les garants de la cohésion sociale.

Wahid B : La guerre prend aussi une proportion importante dans votre ouvrage puisque vous décrivez si bien les souffrances des soldats, les champs de guerre… ?

Vincent M : La guerre… j’ai la chance de ne pas l’avoir vécu. Cette grande chance de ne pas avoir dû en souffrir. Je ne comprendrai jamais les intellectuels proclamant le côté sensuel de la guerre… ce qui me gêne le plus dans cette honte faite à la grandeur possible de l’humanité, ce n’est pas tant les morts d’innocents, mais les mensonges que les états ont inventés pour faire naître des coupables. Paroles banales, certes, mais que dire ?

Wahid B : Des paroles, parlons-en. Vous vous référez à qui par « La blanche de sang » ?

Vincent M : Je comprends votre souhait, Wahid, de saisir certains propos abstraits en apparence, où dont le sens peut vous induire en erreur. Mais j’aime l’idée que le lecteur s’imprègne des mots, écrive sa propre définition des termes utilisés, crée sa propre ponctuation comme une respiration. J’essaye le plus possible de laisser des portes ouvertes à l’interprétation, utilisant des mots simples, des expressions abordables par tout un chacun, pour justement faire naître le débat au plus grand nombre de niveaux possible. Je n’aime pas la vision élitiste de la poésie, ou de l’écriture en général. Je n’écris pas pour un cercle restreint de gens. Je sais pertinemment que je ne toucherai pas tout le monde, mais j’ai pu nombre de fois constater que des gens effrayés par la lecture de poésies s’ouvraient à elle, quand celle-ci parlait leur langage. Et après, sur des points précis, j’ai pu entamer avec eux un dialogue concret. Je donne ou plutôt propose un don aux lecteurs, mais ne les laisse pas passifs, j’aime l’idée de les voir devenir actifs, qu’ils participent à ces textes qui, dés qu’ils sortent de mon esprit, ne sont plus mien… mais l’on t-il déjà été ?

Wahid B : Pour finir, Vincent, quel a été votre parcours en matière d’édition ? Les difficultés, les refus, les incompréhensions, et finalement, l’acceptation de votre livre par Mille-Poètes LLC ?

Vincent M : J’ai compris tardivement que je rêvais à l’édition de mon travail. Je ne m’y suis donc attelé qu’il y a peu. Et là, comme un nombre incroyable d’auteurs, je me suis trouvé à affronter les vicissitudes classiques de ce milieu.

Wahid B : Là vous touchez mon cher Vincent un sujet très sensible. Nous aimerions connaître les démarches que vous avez entreprises auprès des maisons d’édition françaises.

Vincent M : Imaginez Wahid, que j’ai envoyé dix sept manuscrits, et à toutes les maisons d’édition possibles et imaginables. Trois m’ont signifié avoir reçu mon manuscrit, deux m’ont exprimé leur refus… qui des autres ? Ah si, une maison d’édition dont le siège est proche de chez moi m’a répondu, par téléphone, et via sa secrétaire, que mon script avait été jeté directement à la poubelle dés sa réception…

Wahid B : Mais vous avez bien publié votre premier ouvrage chez Mille Poètes, non ? Comment l’avez-vous connu ?

Vincent M : Ce fut sur un forum de la télévision publique française. Dès que j’ai vu le nom de Mille-Poètes, j’ai foncé. Sans même tout lire des conditions, me contentant du principal, j’ai envoyé mon script à Guy Boulianne. Quelques jours plus tard, réponse positive… nul besoin de vous dire que mon cri de joie a du s’entendre de Bordeaux jusqu’à Montréal ! Par la suite, j’ai vite compris que Guy possédait une patience olympienne, je suis en effet membre des E.C.C.P.D., Ecrivaillons Cherchant Comme Pas Deux (rires).

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Entrevue de Wahid Bennani
wahid.bennani@mille-poetes.com

© Mille Poètes LLC
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RÉFÉRENCES :

http://www.lulu.com/content/313048

Publié dans Entrevues

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