Haïkus de Amel Hamdi Smaoui

Publié le par Wahid Bennani


Amel Hamdi Smaoui est née le 9 janvier 1958 à La Marsa, ville proche de Tunis. Cinq ans, premier contact avec la langue française. Le Français et rien d'autre en ce premier jour d'école, un choc auquel personne ne l'a préparée.

Douceur ? Savoir faire des maîtresses ? Très vite, elle nourrit pour cette langue, une passion qui s'est traduite par une forte dépendance à la lecture.
Ses études secondaires ont failli en pâtir, ce n'était pas un holà de son père au vu de ses résultats dégringolants : elle venait de découvrir grâce à ses nouvelles camaraderies, Emile Zola et Pearl Buck, deux univers différents mais combien passionnants pour la collégienne qui n'avait eu jusque là entre les mains que des livres de bibliothèque aux couleurs de l'enfance. Elle y passait le plus clair de son temps oubliant son propre monde.

Regain d'intérêt pour les études. C'était les années 70, elle a rencontré la chanson à texte française, ses grands poètes et la chanson engagée de Marcel Khalifé, ses compagnons pour de longues années grâce à la radio, dans l'ambiance feutrée de sa chambre. Romantique portée sur les maths, elle n’a jamais délaissé la lecture, des romans surtout, passe-temps pris sur le compte des heures de sommeil.


Obtient le bac en 1976 et rejoint la faculté de pharmacie de Monastir. Diplômée en 1981, elle exerce le métier de pharmacienne à La Goulette.
Plus tard, elle a suivi une formation de deux ans en homéopathie croyant très fort en cette médecine douce qui traite le mal par le mal tout en respectant l'intégrité du corps humain.
Elle n’est entrée au contact avec l'écriture qu'aux alentours de la quarantaine, elle relie souvent cette rencontre tardive au décès de son frère aîné.

Touchée au plus profond de son être, elle n'avait trouvé que ce moyen pour exprimer tout ce qu'on peut ressentir de douleur à la perte d'un être cher parti trop tôt.
Elle a commencé l'ébauche d'une autobiographie pour retrouver une enfance commune, des sensations oubliées, des étés dans la ville natale.

La nostalgie la porte loin mais elle n’aime pas ses mots peut-être un peu trop froids faute de n'avoir pas servi l'écriture. Retourner sur les bancs de l'école ? L'alternative ne lui déplait pas, elle s’inscrit aux cours de civilisation et de littérature de l'institut français de coopération de Tunis, porte ouverte sur une inscription par correspondance à la Sorbonne si on a le souffle.
Elle se détourne au bout de deux ans de sa trajectoire pour se retrouver en ateliers d'écriture au même institut.

Puis un jour Internet prend le relais : ateliers en ligne, écriture sur propositions. Rarement de la poésie, plutôt de la prose courte, des nouvelles, des récits autobiographiques et ce, jusqu'à la rencontre avec les haïkus : trois ans d’écriture brève à ce jour.
Ce sont, son mari et ses deux enfants (21 et 23 ans) qui l’ont beaucoup encouragée sur la voie de l’écriture, aux dépens de leur confort, parfois.
Fin 2005, elle adhère au site de Mille Poètes puis à celui de Poètes Sans Frontières : là, elle commence à écrire assez régulièrement de la poésie libre.

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Wahid.Bennani : Bonsoir Amel Hamdi Smaoui ! Heureux d’interviewer l’auteur de « D’encre et d’aquarelles » !

Amel Hamdi Smaoui : Bonsoir Wahid, heureuse aussi de vous rencontrer pour parler de ce recueil. J'ai parcouru les entretiens des auteurs qui m'ont précédée et j'ai beaucoup apprécié ces pages du webzine qui font la lumière sur les écrivains et leurs livres.

Wahid.B : Merci Amel ! Cela va être sans doute l’occasion de parler du Haïku.
C’est quoi d’abord le Haïku ?

Amel.H.S : Oui, « D’encre et d’aquarelles » étant un recueil de haïku, genre poétique peu connu encore par le grand public, je me ferai un plaisir d'en parler et d'y amener peut-être qui sait de nouveaux adeptes.
Le haïku est un poème court, d'origine japonaise, formé de dix sept syllabes à peu près, réparties sur trois lignes sur le modèle : 5/7/5.

J’emprunterai certains termes à Philippe Costa pour le définir :

C'est un genre descriptif, imagé, intimiste et émotionnel, qui ne pense jamais.
Le haïku donne à voir et à sentir les saisons, la nature, mais c'est aussi le poème des choses banales de la vie, des petits évènements, des sensations, des émotions, des souvenirs...

Si le langage du haïku est simple, il n'est pas pour autant simpliste, c'est un genre concis, concret, ciblé où la métaphore et la comparaison ne sont pas tolérées. Il ne convient pas aux pensées, aux réflexions ni aux maximes.
Il saisit l'éphémère, l'immortalise comme le photographe dont l'objectif fixe l'instant fugace.

Il y a trois genres de haïkus :

-le haïku de saison, certains pensent que c'est le seul véritable haïku (contient obligatoirement un mot-saison ou kigo )

-le haïku dit "de circonstance" (aborde les thèmes variés cités plus haut)

-le senryû , poème satirique, il traite de la vie sociale, dénonce l'injustice, la corruption... et se caractérise par l'humour.

Wahid.B : Donc toutes les poésies du monde comportent certaines contraintes, certaines règles. Comment accepter ces règles du Haïku plutôt que d’autres ?

Amel.H.S : Le tout est une question d'affinités. Je pense que si l'on va vers le haïku c'est parce qu'on apprécie le genre qui, dans sa définition même inclut les contraintes. On est avisé d'avance et libre au poète d'y adhérer ou pas. La pratique régulière allège petit à petit la sensation de l'enfermement dans un nombre limité de syllabes, on se retrouve à écrire concis sans compter sur ses doigts comme à ses débuts. On n'a même plus besoin de gommer le superflu, il n'y en a plus. Les tournures se font brèves d'emblée. On n'est jamais loin du compte, l'idée s'organise en : court/long/court (5/7/5) toute seule.

Wahid.B : Comment avez-vous connu ce genre d’écriture ?

Amel.H.S : Au début de l'année 2004, j'écrivais régulièrement des nouvelles sur un atelier d'écriture en ligne (écrire-en-liberté) quand, un jour le mot "haïku" fut prononcé par un co-listier et ce qui a commencé comme un jeu : poster un haïku par jour sur la liste en écho au premier émis dans la journée, devait se poursuivre en ce qui me concerne pendant 9 mois, régulièrement.

Les débuts étaient tâtonnants, difficiles, il fallait que je me forme toute seule et rapidement, je n'avais pas d'autre alternative si je voulais être de la partie dans un recueil collectif qui devait sortir en Ukraine pour la journée de la francophonie (mars 2004) : "les haikus, dialogues interculturels" qui a rassemblé à l'époque quatre poètes de continents différents et une dessinatrice ukrainienne. Premiers haïkus, première publication.
C'est en visitant les différents sites spécialisés que je me suis faite une idée sur cette poésie aux tendances multiples.

J'ai participé à plusieurs forums et ateliers d'écriture de haïku : (Francopolis, mots magiques, haïku-fr ), échanges fructueux dans la mesure où la complaisance n'était pas de mise.
Au cours de mes voyages en France, j'ai acquis quelques livres, ouvrages incontournables à avoir sous la main, mines de conseils comme le "Petit manuel pour écrire des haïkus" de Philippe Costa ou un livre-balade sur les traces des grands maîtres "Fourmis sans ombres" de Maurice Coyaud, Anthologie du poème court japonais, "Haïkus" de Catherine Mercier qui, de sa palette de peintre a illustré les haïkus les plus célèbres. L'idée de mon recueil a germé dès que j'ai eu en main ce petit chef-d'oeuvre.

De tous mes haïkus un site est né, où je répertorie la plupart de mes créations : haïkus, tankas, kasens.

Wahid.B : Personnellement, je me demande comment un poète, en si peu de mots, peut-il extérioriser ses « intériorisations ». Comment peut-il dire tout ce qu’il ressent en si peu de vers ?

Amel.H.S : L'habitude se crée par la pratique, par la lecture des maîtres du genre et de ce qui s'écrit dans le monde du haïku.

Je crois qu'un travail de fond est nécessaire avant d'arriver à une écriture aboutie, épurée. Il faut toujours être prêt à retravailler sa production, mettre le mot qui va à l'essentiel, supprimer ceux qui alourdissent sans rien apporter. Chargé d'émotion le haïku va droit au but... Place au silence après, au blanc évocateur, au non-dit. Souvent le lecteur prend le relais du poète pour imaginer la suite, y retrouver sa propre expérience.

Mais j'avoue qu'au début, moi qui écrivais relativement long, j'ai souffert de cette contrainte d'autant plus que je regrettais certains mots qui ne rentraient pas dans le moule. Respectant scrupuleusement le nombre 17, j'ai dû faire et défaire le même haïku une multitude de fois.
Puis, j'ai vu que de plus en plus de haikistes prenaient des libertés avec le comptage des syllabes, l'écriture est devenue plus facile et plus authentique aussi dans la mesure où l'on peut placer le mot "juste" sans crainte d'être en infraction avec la règle.

Cet art du bref, on le retrouve aussi dans la peinture japonaise et chinoise, dans la musique de Couperin, Ravel, Shuman (musiciens de l'écho et de la résonance pour ne pas dire du silence). N'est-ce pas aussi un peu le principe des nouvelles qui n'ont rien à envier aux romans ?

Wahid.B : A-t-il lui aussi ses grands maîtres et ses adeptes ?

Amel.H.S : Cinq noms au moins ont marqué l'histoire du haïku, leurs poésies sont toujours d'actualité, largement citées en toute occasion un peu partout dans le monde.
Ce sont les grands maîtres : Bashô, Buson, Issa, Shiki et Santoka.

C'est grâce à Bashô (Matsuo Munefusa) 1644-1694, que le haïku ou haïkaï a vu le jour, c'est le maître incontestable de ce genre. Auparavant, la poésie en vogue était le tanka, poème deux fois plus long que le haïku : 5/7/5 +7/7 (syllabes). Bashô en détacha la première partie (hokku) pour en faire une entité à part entière, plus tard on lui donna ce nouveau nom de haïku. Il fonda une école de poésie et eu plusieurs disciples, il se retira complètement de la vie mondaine en 1680 pour se consacrer à son art et plus tard aux voyages dont il a laissé de nombreux récits sous forme de haïbuns (prose poétique mêlée à des haïkus).

Vint après Yosa Buson (1716-1783), peintre et poète, il innova à sa manière le hokku, se démarquant de Bashô le philosophe tout en lui vouant un grand respect.

Kobayashi Issa (1763-1823), donne un nouveau dynamisme au haïku qui a perdu beaucoup de sa fraîcheur.

Masaoka Shiki (1867-1902), critique Bashô et apporte de grands changements dans le haïku.

Santôka Taneda (1882-1939) Moine zen et poète, sa vie était faite d’errance comme le grand maître avant lui, ardent défenseur du haïku moderne, il a renié le 5/7/5 et le mot de saison.

Au Japon, le haïku est très populaire, très suivi. Beaucoup de concours sont organisés pour les adultes et les enfants. Largement diffusée au Canada, cette poésie brève commence à prendre de l'ampleur en Europe : pays francophones et autres. L'anthologie mondiale d'André Duhaime montre que le haïku n'a pas de frontières.


Wahid.B : Revenons à présent à votre ouvrage. Pourquoi le titre D’encre et d’aquarelles ?

Amel.H.S : « D’encre et d’aquarelles » est un recueil que j’ai voulu "illustré" ; en complicité avec l’aquarelliste Marlen Guérin que j’ai rencontrée sur le site de Mille Poètes.
La part qui me revenait dans ce recueil était l’écriture et qu’y a-t-il de mieux que l’encre pour la matérialiser et la fixer sur le support qu’est le papier, elle qui a été longtemps virtuelle (sur mon site ou ailleurs sur la toile)?

A chaque haïku Marlen a apposé une aquarelle qui vient le compléter, dire ce que les mots ont tenu caché et je ne dirai pas ‘‘ expliquer ’’, ce n’est pas du tout le but ; l’aquarelle est ici l’autre pendant de l’écrit.

Moi-même j’ai été parfois étonnée (agréablement) de l’interprétation de l'un ou l'autre de mes poèmes : La vision du peintre est intéressante, dans la mesure où elle peut être aussi celle de mon lecteur anonyme qui ne me dira jamais son ressenti.


Wahid.B : Dans l’ouvrage chaque aquarelle est accompagnée d’un Haïku.
Est-ce là des poèmes illustrés ou bien des illustrations poétisées ? Ceci pour dire, si l’image a inspiré le poème ou vice versa ?

Amel.H.S : Quand j'ai décidé de faire ce recueil, j’ai proposé à Marlen 70 haïkus parmi lesquels elle devait choisir les 45 qui lui plaisaient ou qui l’inspiraient le plus ;
Après un temps de réflexion, son choix s’est fait et elle a commencé à m'envoyer par Internet au fur et à mesure, les croquis correspondants aux poèmes, puis elle est passée au stade des aquarelles.

Wahid.B : Quels sont les thèmes de ce recueil illustré ?

Amel.H.S : Pour ce premier recueil, les thèmes sont assez diversifiés, j’y parle de l’enfance, de la solitude, du printemps, des oiseaux, de la lune, d'une rencontre non aboutie… Des situations vécues, des observations parfois banales de la vie quotidienne mais qui ont mérité un arrêt, un haïku.

Wahid.B : Supposons que vous vouliez faire un recueil de Haïku sans illustrations, cette fois. Cela ne vous demanderait pas des milliers de petits poèmes ? (Sourire)

Amel.H.S : J'opterai plutôt pour la qualité que pour la quantité, tout en restant dans les normes de l'édition. Plusieurs recueils sont édités sous forme de livrets, ressemblant ainsi aux recueils classiques de poésie. Quelques haïkus par page : 3 ou 4, le lecteur prenant le temps de lire, de s'arrêter, de relire et ceci sur 30, 40 pages.

Prenons des exemples de recueils des maîtres : "Bashô Cent onze Haïku", "Shiki Cent sept Haiku", "Ryokan Les 99 Haiku" tous trois parus aux éditions Verdier. C'est ainsi que je vois mon prochain recueil. Pas plus de 120 haïkus.


Wahid.B : Ne trouvez-vous pas une certaine ressemblance entre les Maximes et les Haïkus ?

Amel.H.S : Maximes et haïkus sont tous deux des écritures brèves mais la ressemblance s'arrête là.
Quand les premières résument une pensée morale, le haïku s'interdit de réfléchir. Il observe, fixe l'instant présent, comparable en cela à une photographie. Il reproduit des épisodes vécus. Le haïku est un poème du concret et non des idées, où la nature, les saisons surtout sont omniprésentes, d'où la récurrence des sujets abordés parfois, les poètes puisant dans le Saïjiki (almanach poétique des saisons).


Wahid.B : Comment vos proches ont-ils reçu ce premier bel ouvrage «D’encre et d’aquarelles» ?

Amel.H .S : Merci pour le qualificatif !

Ils étaient étonnés que l'édition par Internet donne un tel résultat.
L'association haïkus-aquarelles a donné le meilleur effet et en ceci, je ne remercierai jamais assez Marlen Guérin et Guy Boulianne qui ont fait du beau travail.
Ma famille, mes amis, les Mille Poètes de Carcassonne, à qui j'ai eu la chance de le présenter ainsi que certains internautes amis d'écriture m'ont fait beaucoup d'éloges sur la qualité du livre : présentation, format...

Wahid.B : D’autres publications à l’horizon ?

Amel.H.S : Tout d'abord sortir ce même recueil en anglais, j'ai déjà la traduction des poèmes, de la préface et l'accord des concernés (Marlen Guérin et André Duhaime), je manque juste de temps pour mettre le tout au point.

Pour revenir au français : la matière est là, quelques centaines de haïkus que je compte publier petit à petit. En premier lieu, un recueil à thèmes où la nostalgie aura la part belle. Je tiens à immortaliser dans un livre certains souvenirs, un vécu de l'enfance que j'aimerais transmettre, une relation privilégiée avec des personnes, des lieux qui ne sont plus... ou ne sont plus tels que je les ai connus et aimés. Des flashs du passé en quelque sorte.
Et d'autres projets encore en gestation.

Wahid.B : J’eus l’occasion de lire quelques récits publiés dans divers sites littéraires. Et je vous avoue que je fus charmé par votre don de narratrice.
Ne pensez-vous pas nous racontez votre beau pays qu’est la Tunisie dans un proche avenir ?

Amel.H.S : Je vous remercie Wahid pour ce clin d'oeil élogieux à mon autre écriture et surtout à mon pays, voisin du vôtre de par notre appartenance commune au Maghreb et que je rêve de visiter.

Je suis actuellement en phase d'écriture d'un roman dont une partie se passe en Tunisie, j'y décris principalement Tunis la capitale, les grands changements qu'a connus dernièrement sa grande artère, le théâtre municipal qui vient de fêter ses cent ans, petit bijou de l'architecture italienne, la Médina, la Marsa, ma ville natale, la Goulette, ma ville d'adoption, la mer omniprésente...

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BIBLIOGRAPHIE :

- Haikus et poésie publiés dans les revues : Astrolabe (revue des Grands Voyageurs), le journal francophone d’Ukraine, Haïkaï, Gong, Acacia, PSF.
- Grand prix Spleen au deuxième concours de haïku du magazine Marco Polo. (novembre 2006)
- Premier recueil de haïkus : « D’encre et d’aquarelles » (septembre 2006)
http://www.mille-poetes.com/Librairie_HaikuTanka-001.html
- Poèmes libres : Revue Poetas Sin Fronteras Vol.1 N°4 ( Août 2006)
- Poèmes en arabe: Revue Poetas Sin Fronteras Vol.1 N°5 (Octobre 2006)
- Poèmes libres : Revue Poetas Sin Fronteras, Vol.1 N°6 (Décembre 2006)

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Entrevue de Wahid Bennani

© Mille Poètes LLC
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Publié dans Entrevues

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